Hydrogène vert : « La chimie est un des secteurs auxquels Lhyfe s'intéresse en premier », François Hoche (responsable des marchés de l'industrie, Lhyfe)

Accompagner les acteurs de l'industrie chimique dans la décarbonation de leurs procédés consommant de l'hydrogène d'origine fossile. Telle est l'ambition du spécialiste nantais de la production et de la distribution d'hydrogène vert et renouvelable en Europe. Entretien avec François Hoche, le responsable du développement commercial pour les marchés de l'industrie.

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Hydrogène vert : « La chimie est un des secteurs auxquels Lhyfe s'intéresse en premier », François Hoche (responsable des marchés de l'industrie, Lhyfe)
François Hoche, responsable du développement commercial pour les marchés de l'industrie chez Lhyfe.

Infochimie Magazine : Pouvez-vous présenter la société Lhyfe ?

François Hoche : Lhyfe, société créée en 2017, est basée à Nantes et comprend des filiales et des bureaux en Europe, avec des opérations dans 11 pays européens. Son objectif est de s'imposer comme un des leaders européens indépendants de la production et de la distribution de l'hydrogène vert et renouvelable (issu de l'électrolyse de l'eau, à partir d'électricité renouvelable).

À l'avenir, Lhyfe a pour but d'atteindre 55 MW de capacité de production installée en 2024, 200 MW en 2026 et plus de 3 GW en 2030, équivalant à une production maximale d'hydrogène de 1 200 tonnes par jour. Pour ce faire, Lhyfe s'appuie sur un portefeuille d'affaires potentielles très important, qui représente 9,8 GW sur toute l'Europe. À ce jour, le portefeuille de Lhyfe est essentiellement partagé entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe du Nord, et dans une moindre mesure, l'Europe du Sud.

De quelle(s) technologie(s) de production disposez-vous?

F.H. : Une chose importante à savoir : Lhyfe n'est pas fabricant d'électrolyseur. Lhyfe réalise un benchmarking des technologies d'électrolyse et des fabricants d'électrolyseurs pour choisir, au cas par cas, la technologie la plus performante et la plus adaptée au projet de construction d'une unité de production d'hydrogène renouvelable. Par contre, nous avons beaucoup de « know-how Lhyfe » en ce qui concerne la gestion de l'intermittence des énergies renouvelables et de l'optimisation de ces énergies pour maximiser la production et l'adapter à la demande du marché. Pour l'instant, les off-take concernent des stations de distribution d'hydrogène renouvelable pour le secteur de la mobilité et pour des collectivités de la région. De surcroît, nous travaillons évidemment à développer les usages de l'hydrogène dans l'industrie.

Pour un client donné, de quoi va dépendre le choix de l'électrolyseur ?

F.H. : Le choix de l’électrolyseur va dépendre de plusieurs points. D’une part, de la demande du client en termes de pression et de pureté de l’hydrogène, et de volumes évidemment. D’autre part, de l’intérêt des clients à bénéficier de l’oxygène coproduit lors de l’électrolyse de l’eau, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre eux. Un autre paramètre concerne l’empreinte au sol – l’espace nécessaire à l’implantation de l’unité – qui varie en fonction de la puissance de l’électrolyseur requise par le client. Tous ces critères sont à prendre en compte, en dehors du fait que, sur une demande particulière de pression ou de technologie, nous pouvons avoir davantage de référence avec un fournisseur en particulier.

Pouvez-vous nous parler des projets de Lhyfe en France ?

F.H. : Nous avons une unité de production en opération, à Bouin (Vendée), qui est directement connectée à un parc d'éoliennes. L'hydrogène produit est, par la suite, comprimé à haute pression et mis dans des conteneurs. Ceux-ci sont ensuite transportés par des remorques pour être distribués aux clients de la région. Actuellement, on produit environ 300 à 400 kilogrammes par jour, pour viser 1 t/j à horizon début 2024, ce qui nécessite 2,5 MW d'alimentation électrique. Les clients développés sur ce secteur sont des stations de distribution, comme celles des carburants pour bus, bennes à ordures ou encore un centre logistique, pour alimenter des chariots élévateurs fonctionnant à l'hydrogène. D'autres sites sont également en construction dans le reste de la France, comme ceux de Buléon (Morbihan) et de Bessières (Haute-Garonne). Ils devraient, chacun, disposer d'une capacité de production de 2 t/j, d'ici à fin 2023.

Quels marchés de l'industrie chimique sont concernés ?

F.H. : Parmi les secteurs de l'industrie lourde, l'industrie chimique est celui auquel Lhyfe s'intéresse en premier, parce qu'elle est déjà utilisatrice d'hydrogène en grande quantité. Et il s'agit à plus de 99 % d'hydrogène gris (produit par vaporéformage de combustibles fossiles). À ce jour, une grosse partie de la demande en hydrogène de l'industrie chimique provient de la production d'ammoniac et de méthanol. D'autres segments de la chimie, que l'on évoque moins souvent, sont également de gros consommateurs d'hydrogène, comme la production de peroxyde d'hydrogène. L'industrie du nylon consomme également de gros volumes, puisque l'hydrogène intervient, entre autres, dans la production de caprolactame, matière première de la fabrication de nylon 6. Il est également utilisé dans la fabrication d'HMD (hexaméthylène diamine), un réactif de la synthèse du nylon 6,6. D'autres sous-segments sont concernés, comme les caoutchoucs synthétiques hydrogénés, ou encore la synthèse de certains ingrédients du PET.

Quelle est la demande de l'industrie chimique ?

F.H. : Je n'ai pas de chiffres précis, mais il s'agit vraiment de dizaines de milliers de tonnes. Et en l'occurrence, nous n'avons pas de difficultés à trouver des prospects, il y a de la demande sans même aller cogner à toutes les portes. En effet, des industriels viennent nous solliciter, parce qu'ils ont le couperet de la réduction des quotas de dioxyde de carbone (CO2) et sont donc en recherche constante de solutions pour décarboner leur approvisionnement en hydrogène. Les industriels étant souvent engagés dans des contrats à long terme avec des fournisseurs d'hydrogène gris, l'implantation d'unités de production Lhyfe prend plusieurs années.

Quel est le délai entre la négociation du contrat et la réalisation du projet ?

F.H. : L’implantation d’unités de production Lhyfe prend plusieurs années, étant donné que les négociations pour de tels projets ont lieu avec des clients souvent engagés dans des contrats long-terme avec des fournisseurs d’hydrogène gris. Les discussions sont constituées de plusieurs phases avec les prospects de la chimie, et ceux de l’industrie lourde en général. Il faut d’abord compter le temps d’exécution de la phase de réalisation d’une unité de production sur site, pour alimenter spécifiquement un ou plusieurs clients, qui varie typiquement entre deux et trois ans. À cela s’ajoutent le temps de discussion, de négociation et les différentes phases d’entente commerciale. Ce sont donc des projets de longue haleine qui mettent plusieurs années à se mettre en place.

Quel est le modèle d'implantation de Lhyfe ?

F.H. : Pour adresser les différents profils de consommation que présente l'industrie chimique, nous avons deux types de démarches : l'implantation d'une unité sur site ou l'approvisionnement par semi-remorques jusque chez le client. Dans le premier cas, les clients vont avoir des besoins potentiels tellement considérables que nous allons investir dans un outil de production sur place ou sur un terrain voisin. On parle ici de producteurs d'ammoniac ou de polyamides, par exemple, qui seront fournis par canalisation. Ensuite, si l'industriel est d'accord, nous allons créer un véritable écosystème de production d'hydrogène renouvelable autour de son usine, en distribuant des conteneurs d'hydrogène sous pression en vrac, au moyen de remorques, dans la région. Cette seconde option s'adresse à d'autres applications de l'industrie chimique qui nécessitent des volumes moins importants, comme l'hydrogénation des amidons pour faire du sorbitol ou des sucres et des édulcorants. À savoir que nos semi-remorques et nos conteneurs peuvent rayonner dans un rayon de 150 à 200 km. Un certain nombre d’unités est donc nécessaire pour couvrir le territoire de la France ou ceux d’autres pays en Europe. C’est en ce sens que Lhyfe a fait son introduction en Bourse, l’an dernier. La société a besoin de la confiance des investisseurs pour financer tous ces projets, le métier de producteur et de distributeur d’hydrogène renouvelable étant un métier très capitalistique.

Les plateformes chimiques sont-elles des lieux d'implantation potentiels ?

F.H. : Tout à fait. Notre modèle comprend de s'intéresser aux plateformes chimiques, dans la mesure où les différents acteurs sont intéressés par le remplacement de leurs sources d'hydrogène gris. Aux Pays-Bas, par exemple, nous avons déjà annoncé un investissement au sein du cluster industriel de Delfzijl (province de Groningue), qui porte sur une puissance importante (environ 55 t/j – 200 MW), pour fournir des acteurs de l'industrie chimique néerlandaise. On a actuellement plusieurs projets de ce type dont on ne peut pas encore parler évidemment, mais sur lesquels on a une activité importante.

Êtes-vous en concurrence avec le marché de l'hydrogène bleu ?

F.H. : Il arrive que nous y soyons confrontés, plutôt dans des zones où il y a des possibilités de stockage et d'enfouissement de CO2. Pour les industriels qui sont déjà des exploitants d'unités de production d'hydrogène gris, ces solutions s'avèrent évidemment « commodes », lorsque l'enfouissement est possible. Mais dans beaucoup de cas, le stockage est absolument impossible, et nos clients de l'industrie ont totalement conscience que la solution pérenne et définitive repose sur l'hydrogène vert. Alors oui, nous faisons parfois face à ce genre de « concurrence », mais nous sommes plutôt confrontés à des clients qui réfléchissent sur le long terme.

Comment émergez-vous sur le marché de l'hydrogène vert face à de grands acteurs ?

F.H. : C'est une très bonne question. La quelque centaine de salariés chez Lhyfe est entièrement dédiée au développement de solutions de production et de distribution d'hydrogène renouvelable – une activité qui se retrouve noyée dans la masse d'activités et de produits des grands groupes. Ces derniers doivent également défendre un marché existant de l'hydrogène gris. Ils sont en quelque sorte « assis » sur un portefeuille de clients et d'outils de production d'hydrogène gris qu'ils doivent essayer de convertir et/ou d'améliorer. À la différence de ces derniers, nous nous voyons comme des challengeurs et des pionniers sur le marché de l'hydrogène renouvelable, parce que c'est notre unique raison d'être. C'est donc une force. Petit à petit, Lhyfe se fait un nom, crée ses standards et ses références.

Comment vous différenciez-vous de vos concurrents ?

F.H. : Du fait de nous positionner spécifiquement sur les énergies renouvelables pour alimenter nos unités de production, nous avons développé une certaine aptitude pour aller chercher ces énergies et créer de la valeur ajoutée, là où elles sont disponibles. Prenons l'exemple du projet en cours, baptisé Sealhyfe, dont l'unité – premier dispositif pilote de production d'hydrogène offshore au monde d'une capacité de 400 kg/jour – a été testée à quai et vient d'être envoyée en mer, pour être raccordée à l'éolienne flottante située sur le site d'essais en mer du SEM-REV, au large du Croisic (Loire-Atlantique). L'idée, à terme, est de pouvoir produire plusieurs centaines de MW d'hydrogène offshore et de les rapporter sur terre par des canalisations. Lhyfe parie ainsi sur la production de plusieurs GW d'hydrogène offshore, entre 2030 et 2035. C'est une ambition qui vise à contribuer à l'European Backbone (EHB), un projet de construction d'un réseau européen de canalisation d'hydrogène qui couvrira toute une partie du territoire de l'Europe.

LHYFE EN BREF

- Chiffre d'affaires en 2022 : 570 000 €

- Capacité de production installée : 1 MW

- Projet avancé : 759 MW (+99 % vs. mi-avril 2022)

- Projets en phase « construction » Lhyfe : Bretagne, Occitanie, Bade-Würtemberg (Allemagne), Tübingen (Allemagne), Botnia hydrogen (Suède)

- Portefeuille total de projets : 9,8 GW

- Subventions sécurisées à ce jour : 59,3 M€

- Nombre de salariés : 149 (x2,5 vs. 2021)

 

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