La stratégie hydrogène de l'Allemagne doit servir de tremplin à ses champions industriels

Pour Berlin, la transition énergétique ne se fera pas sans hydrogène vert, qui sera, pour 50 à 70 %, importé de pays tiers. Des accords bilatéraux permettent aux fabricants allemands de se projeter à l’export.

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La stratégie hydrogène de l'Allemagne doit servir de tremplin à ses champions industriels
Nucera, la filiale de Thyssenkrupp spécialisée dans la production d’électrolyseurs modulaires, fournira une unité de 2 GW à l’Arabie saoudite.

«L'hydrogène vert est la pierre angulaire des objectifs climatiques de l’Allemagne pour 2045 », assure Werner Diwald, le président du conseil d’administration de l’Association de l’hydrogène et des piles à combustible (DWV). Pour ce pays qui a renoncé au nucléaire en 2023 et qui veut se sevrer du charbon entre 2030 et 2038, l’hydrogène et ses dérivés sont devenus l’élément indispensable pour décarboner son industrie et sa production d’énergie depuis que la guerre en Ukraine a sonné le glas pour le gaz russe bon marché acheminé par pipeline. «À condition de fournir aux entreprises utilisatrices un hydrogène compétitif», tempère Mike Blicker, le coordinateur du projet Norddeutsches Reallabor (NRL).

Ce hub, englobant plusieurs agglomérations autour de la ville de Hambourg, étudie les conditions d’adoption de l’hydrogène par des entreprises électro-intensives, dont l’aciériste ArcelorMittal et le producteur de métaux Aurubis. Pour un investissement de 380 millions d’euros, un électrolyseur géant sera notamment construit sur le port de Rostock. Avec une capacité de 100 MW en 2025, augmentée à 1 GW en 2030, il fonctionnera avec l’électricité provenant des éoliennes offshore en mer Baltique et alimentera en ammoniac vert, issu de la transformation de l’hydrogène, l’usine d’engrais de Yara et le réseau de chaleur de la ville. De là, le constructeur et exploitant de gazoducs Ontras connectera une conduite au futur réseau de 9 700 km d’hydrogénoducs, dont 60 % s’appuieront sur la conversion des gazoducs existants.

À l’image de ce hub, la stratégie nationale allemande, actualisée en juillet 2023 et dotée d’une enveloppe de 7 milliards d’euros, repose sur la mise en service de 10 GW de capacité d’électrolyse sur son territoire d’ici à 2030. Correspondant à 40 TWh, cette production domestique ne couvrira toutefois qu’une part minoritaire des besoins de l’industrie, des transports et des bâtiments estimés à cet horizon entre 95 et 130 TWh. Autre impératif : l’hydrogène devra être vert, c’est-à-dire que les électrolyseurs devront être alimentés par de l’électricité renouvelable. Son équivalent bleu, produit à partir du gaz naturel avec technologie de stockage du CO2, ne sera accepté que le temps de permettre au marché de se structurer et à la demande de décoller.

Promouvoir ses fabricants de machines-outils

«Avec un prix situé entre 5,99 et 7,99 euros le kilo, l’hydrogène vert n’est actuellement pas suffisamment attractif», remarque Mike Blicker, qui a participé à une étude publiée en octobre 2023. Selon lui, il faudrait que le prix de l’hydrogène vert domestique tombe à 4,40 euros le kilo pour que la production d’ammoniac devienne compétitive. Pour la fabrication d’acier primaire, il faudrait passer sous les 2 euros le kilo. De fait, le pays n’aura pas d’autre choix que de recourir à l’importation depuis des pays tiers bénéficiant d’un important potentiel en énergies renouvelables, qu’elles soient solaire, éolienne et hydroélectrique, afin de disposer des quantités suffisantes d’hydrogène vert et faire baisser drastiquement les coûts de production.

Pour couvrir jusqu’à 70 % de ses besoins par l’importation, Berlin a donc alloué 2 milliards d’euros à la signature de contrats bilatéraux et a noué, à ce jour, une vingtaine de partenariats avec des États tiers, dont la Nouvelle-Zélande, le Canada ou la Norvège. L’un des plus avancés concerne aussi l’initiative HyGate menée avec l’Australie et subventionnée à hauteur de 40 millions d’euros par l’Allemagne. Plusieurs démonstrateurs y sont en cours de construction, dont une usine de 17,6 MW à Townsville, dans le Queensland, qui utilisera la technologie d’électrolyseurs de Siemens Energy. Dans les Émirats arabes unis, la société nationale Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc) a débuté les livraisons d’ammoniac vert à destination du port de Hambourg. Sachant que la stratégie émiratie, qui vise à produire 1,4 million de tonnes d’hydrogène par an d’ici à 2031, en grande partie pour l’export, a été élaborée avec l’aide de l’institut allemand de recherche Fraunhofer.

Car au-delà de la décarbonation, l’un des objectifs sous-jacents pour l’Allemagne est de profiter de ces contrats d’importation pour mettre en avant la bonne réputation de ses fabricants de machines-outils et d’équipements de production d’hydrogène (piles à combustible, électrolyseurs, réservoirs…). Et de projeter leur savoir-faire ou leurs technologies sur de nouveaux marchés étrangers. «Jusqu’à présent, les pays qui envisagent d’installer les plus grandes capacités de production d’hydrogène ont acheté peu de machines-outils allemandes, soit parce qu’ils ont une industrie manufacturière peu développée, soit parce qu’ils ne font pas partie des partenaires traditionnels de l’Allemagne. Cela ouvre de nouvelles opportunités», peut-on lire dans un document de travail rédigé en 2023 par l’Institut fédéral pour la formation professionnelle (BiBB) à partir de l’analyse de 55 pays. Et l’étude de citer l’Arabie saoudite, le Mexique, le Kazakhstan, le Chili et l’Inde.

Certains projets sont déjà en cours de réalisation. Nucera, la filiale de Thyssenkrupp, doit ainsi livrer un électrolyseur de 2 GW à l’Arabie saoudite pour l’usine Helios Green, qui devrait produire 600 tonnes d’hydrogène par jour à partir de 2026. Quand l’économie de l’hydrogène devient un bon moyen de diversifier ses sphères d’influence.

L’hydrogène par pipeline, moins cher et moins risqué

Jusqu’en 2030, l’importation de l’hydrogène vert depuis les pays partenaires de l’Allemagne se fera majoritairement par bateau, sous forme d’ammoniac ou d’hydrogène liquide. Une solution loin d’être idéale pour l’Association de l’hydrogène et des piles à combustible (DWV). « Ce type de transport nécessite des infrastructures de reconversion de l’hydrogène dans les ports d’arrivée », pointe Werner Diwald, son président. De plus, alors que l’Allemagne a noué des partenariats aux quatre coins du globe, il estime que « l’accent devrait être mis sur la coopération avec les pays riverains, pour maintenir un équilibre entre industrie, énergie et géopolitique ». C’est pourquoi la DWV préconise d’accélérer bien avant 2030 l’importation par pipeline depuis les pays scandinaves et les pays du Sud (Espagne et Maghreb). Outre le projet d’hydrogénoduc H2Med, qui transportera 2 millions de tonnes d’hydrogène par an entre le Portugal, l’Espagne, la France et l’Allemagne, Berlin mise également sur le Maroc. Selon les modélisations de l’analyste de marchés Aurora Energy Research, les importations en provenance du royaume chérifien par pipeline permettraient d’atteindre un prix de l’hydrogène vert à 3,72 euros le kilo, soit 20 % de moins que par bateau. 

 

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