[Édito] Ipsophene doit s’expliquer sur son projet de paracétamol à Toulouse
Le doute s'installe sur la capacité d'Ipsophene à produire industriellement, à Toulouse, à l'horizon 2025, un paracétamol viable économiquement et homologué par les autorités réglementaires. Une clarification de la part de la société s'impose.
À force d’être trop discret, on finit par alimenter des rumeurs. Ipsophene commence à en faire l’expérience avec son projet de paracétamol à Toulouse. Annoncé en juillet dernier, il vise une production de 3 000 tonnes par an de ce principe actif, à l’horizon fin 2024/début 2025, grâce à une revisite du procédé Rhône-Poulenc à partir de phénol, en s’appuyant sur de la chimie en flux. La région Occitanie s’est engagée sur une aide financière de 4,2 millions d’euros, dont une prise de participation au capital de l’entreprise à hauteur de 1,2 M€ pour un investissement évoqué autour de 25 M€. Mais en ce mois de février, le journal Les Echos a fait part de ses doutes, soulignant que la start-up n’avait toujours pas présenté son projet, au-delà des annonces de Carole Delga, présidente de la région Occitanie. Beaucoup se demandent, aujourd’hui, si elle ne s’est pas trop enflammée autour d’un projet rempli de mystère.
Une chose est sûre, s’il est peut-être mal ficelé, le projet d’Ipsophene n’a pas l’air d’une coquille vide. Il s’appuie sur les travaux de la start-up Ipsomedic, fondée par Edith Lecomte- Norrant, et basée à Aubagne dans des locaux de 1200 m2, rachetés à la société de microbiologie Keybio. Non seulement les locaux existent, mais ils continuent de s’équiper. Et des offres de recrutement tournent sur LinkedIn sur des profils de développement de procédé. Il se raconte que des équipementiers ont bien été contactés, et des commandes lancées, pour ce qui pourrait être la future usine de Toulouse. Elle pourrait être installée sur une plateforme de l’ex-groupe SNPE qui a déjà eu des activités de chimie fine pharmaceutique dans le passé, avant l’accident d’AZF, en 2001. Plus précisément, Ipsophene viserait un bâtiment qui a été utilisé pendant deux ans, avant sa mise sous cocon. L’unité de production de paracétamol a été pensée comme un lego, puisqu’elle s’appuiera sur une série de skids, abritant des opérations unitaires pensées en continu. Selon nos informations, la construction des skids a été confiée à la société d’ingénierie lyonnaise 3DProcess, avant un assemblage final à Toulouse. Upsa, qui n’est rien de moins qu’un client potentiel pour son Dafalgan ou son Efferalgan, aurait apporté son soutien à Ipsophene en prenant une participation dans son capital.
Des doutes sur la capacité d'industrialisation mais pas sur la R&D
Si les travaux de R&D ne sont pas mis en doute, c’est plus cette capacité à produire industriellement du paracétamol en 2025 qui laisse dubitatifs les professionnels du génie des procédés. Car les informations glanées ici ou là interrogent. En général, un procédé est conçu en laboratoire, passe en pilote, puis on rédige un process book à l’attention d’une ingénierie qui travaille ensuite sur le dimensionnement et la construction de la future unité. Ipsophene a étrangement passé des commandes d’équipements avant d’avoir éprouvé son procédé au stade pilote, ce qui soulève un gros point d’interrogation sur l’économie du projet. Le temps de mise en œuvre, d’un an et demi à deux ans, est tout aussi surprenant. Quid des étapes de qualification et des demandes d’autorisations auprès de l’ANSM, sans parler des validations de produits chez les clients ? Chez Seqens, - ce Lyonnais qui propose de produire 10 000 tonnes de principes actifs par an à Roussillon, avec un procédé parfaitement carré, et le soutien de sa région et du gouvernement - on est plutôt sur un timing de trois à quatre ans pour les étapes de construction/validation. Ce qui reste la norme. Deux années avaient même été nécessaires en amont, à la suite de l’annonce du projet par le président Macron en 2020, pour mener les travaux de R&D.
Depuis quelques jours, la presse tourne en boucle. Chaque journaliste se nourrissant des informations du voisin avant de procéder à ses propres recoupements et déductions, avec le risque de s’éloigner de la vérité. Et alors qu’enthousiastes et sceptiques entremêlent leurs commentaires, il serait urgent qu’Ipsophene s’explique clairement par la voie d’un communiqué détaillé ou d’une conférence de presse. De l’argent public est en jeu. On serait en droit de savoir si oui ou non, on pourra compter sur une filière toulousaine pour l’approvisionnement d’un paracétamol 100 % made in France (ou made in Europe, selon l’accès aux matières premières et équipements). Et à quel horizon.