Pour écouter ce podcast, testez gratuitement L'Usine Nouvelle - édition Abonné
Partager

[Industry story - La podcast] L’implantation d’une usine est souvent une bonne nouvelle pour un village et son maire s’en félicite. Claude Monet un peu moins.

Le conseil municipal passe en revue l’ordre de ce jour d’avril 1895. Durdant, le maire, enchaîne les sujets de peu d’importance avant d’évoquer celui qui le fait frétiller. Un industriel compte installer son usine dans le village. Modernité, emplois, rentrées d’argent... «Pensez donc tout le bien promis à notre commune», s’époumone Durdant. Une aubaine. Les échevins tombent d’accord, motion adoptée ! La nouvelle se répand parmi les 290 Givernois où rares sont les voix qui s’élèvent. Derrière son comptoir, Madame Baudy s’inquiète et voit déjà le tableau. À son retour, Claude Monet risque fort d’en faire tout un foin.

Au diable la cathédrale de Rouen ! L’artiste en a fait le tour. Retour à l’essentiel, Giverny et sa nature.

Au diable la cathédrale de Rouen ! L’artiste en a fait le tour. Retour à l’essentiel, Giverny et sa nature. Cela fait quelque temps déjà qu’il lorgne un lopin en contrebas de sa maison, bien décidé à en faire le sujet de ses futures toiles. Une fois acquis, le terrain manque cruellement d’un joli bassin garni de plantes aquatiques. Une demande est faite d’installer une prise d’eau sur la rivière Epte, une dérivation, des vannes…

Les villageois s’inquiètent, craignent que lesdites plantes du Parisien ne viennent empoisonner le bétail. Refus du conseil municipal. Mais quand Monet décide, Monet obtient. Il rédige et signe de ses lettres rondes un courrier destiné au préfet d’Évreux, dans lequel il expose la redoutable simplicité du projet et la beauté qui peut en découler. Chose entendue, le préfet donne son accord. Naissent le bassin aux nymphéas et des toiles amenées à devenir célèbres. Un paradis capturé, offert au monde.

Ballet d’officiels et d’artistes

Durdant a perdu la bataille face à l’irascible Monet, qui salue à peine ses voisins. Pourtant, le peintre est apprécié au village, lui qui y a drainé tant de bienfaits. Clemenceau, Rodin, Cézanne, Guitry... Giverny accueille un ballet d’officiels et d’artistes en tout genre venus visiter le maître de l’impressionnisme. Madame Baudy, elle, a ajouté à son épicerie-mercerie-buvette un hôtel de charme, où séjourne une clientèle internationale. La fortune du village. Merci monsieur Monet.

S’il multiplie les vues d’un même sujet au gré des variations de lumière, Monet aime aussi se renouveler. En janvier 1895, direction la Norvège et ses neiges livides. C’est précisément durant ce long voyage que Monsieur Rayer demande à acheter un terrain communal pour y implanter son amidonnerie. Une enquête administrative est menée au pas de charge et Durdant fait voter l’arrivée de l’usine. Et pas n’importe où. Rayer compte acheter, pour 900 francs, le marais truffé de peupliers et saules têtards… à deux pas du jardin d’Éden de Monet.

Claude Monet à Giverny
Une amidonnerie à proximité de son jardin et de ses nymphéas ? Claude Monet y est fermement opposé. Qui va gagner ? © RMN - Grand Palais - Agence Bulloz

Deux visions de la "prospérité du pays"

Une usine prête à trier à longueur de journée germes et amidon, tu parles d’un bien-être !

Le peintre fulmine et se fend d’un nouveau courrier au préfet. Il y rappelle s’être établi à Giverny pour son cadre bucolique et avoir contribué «à la prospérité du pays». Un tel gâchis viendrait à faire fuir les artistes, lui le premier. En somme, c’est l’usine ou lui ! Mais cette fois, sa requête est rejetée. Durdant jubile, jugeant la demande du peintre contraire «à la prospérité de l’agriculture et au bien-être du pays». Une usine prête à trier à longueur de journée germes et amidon, tu parles d’un bien-être !

Monet se préoccupe plutôt de séparer le bon grain de l’ivraie au sein du conseil municipal et d’y trouver des soutiens. Il met en cause la légalité de l’affaire et se porte acquéreur pour 5 000 francs. L’ami Mirbeau propose même d’intervenir auprès du ministre de l’Intérieur. Déterminé, Durdant refuse. L’industriel Rayer porte son offre à 1 000 francs pour assurer ses arrières. Monet surenchérit à 5 500 francs. Fort de ses nouveaux alliés, il remporte la partie début 1896. Adieu l’usine, l’enfant du marais a gagné. Trois mois plus tard, Durdant perd l’élection municipale.

Couv 3728Vous lisez un article de L'Usine Nouvelle 3728 - Mars 2024
Lire le sommaire

À ÉCOUTER AUSSI

Les podcasts de la rédaction