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Ce que l'on sait de la pollution aux PFAS, des molécules toxiques et persistantes, identifiée autour de deux sites chimiques à Pierre-Bénite
Un reportage et un rapport de l’ONG Générations Futures pointent des mesures élevées de certains composés perfluorés de la famille des PFAS autour des deux usines chimiques d’Arkema et de Daikin à Pierre Bénite (Rhône). La préfecture du Rhône a ouvert une enquête.
Le rapport de Génération Futures n’accuse pas formellement Arkema, ni Daikin, de pollution aux composés perfluorés autour de leurs usines de la plateforme chimique de Pierre-Bénite, dans la périphérie de Lyon (Rhône). Mais ce rapport, basé sur l’enquête de l’émission « Vert de Rage » diffusée sur France 5, fait immanquablement naître le doute, à tort ou à raison, sur les deux sites industriels en les pointant très distinctement. Décryptage des éléments présentés, de certains faits, et des questions en suspens.
Des mesures inquiétantes dans l’air, le sol et l’eau
L’équipe de l’émission a enquêté plusieurs mois autour de la plateforme de Pierre-Bénite, et a prélevé une trentaine d’échantillons en amont et en aval du site, dans l’air, les sols, l’eau du Rhône et celle du robinet. Objectif : déterminer la présence de substances perfluorées, dites PFAS. Le rapport évoque un total de 37 PFAS analysées, sous le contrôle d’un spécialiste, Jacob de Boer, professeur de chimie environnementale et toxicologie à l’Université libre d’Amsterdam (Pays-Bas).
Dans l’eau du Rhône, les mesures relevées en aval de la plateforme, dans le canal usinier, présenteraient des niveaux de PFAS près de 36 414 fois plus élevés qu’en amont. Les échantillons d’eau du robinet dépasseraient les normes limites, jusqu'à plus de deux fois parfois, pour un ensemble de 20 substances PFAS. Ce qui exposerait potentiellement 200 000 personnes selon le rapport, avec des « risques d’effets sur le système immunitaire », commente Jacob de Boer, cité dans le rapport. Le spécialiste ajoute que cela prouverait que les « stations de traitement des eaux potables ne filtrent pas correctement les PFAS ».
Dans le sol, et comparativement à une norme hollandaise, cinq substances PFAS dépasseraient les niveaux acceptables, parfois jusqu'à plus de 6 fois dans un potager voisin et plus de 83 fois dans un stade adjacent au site. Enfin, dans l’air, deux PFAS auraient été trouvées en grande quantité par rapport à cette famille de substances, parfois avec un niveau jusqu'à 8 fois supérieur aux « valeurs moyennes trouvées lors du programme de surveillance du programme des Nations unies pour l’environnement », indique le rapport.
La préfecture en alerte
Ces observations ont été présentées lors d’une réunion publique le 10 mai. La préfecture de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est emparée du dossier dans la foulée. La première urgence est de pouvoir comparer les données du rapport. Dans un communiqué, la préfecture a indiqué la mise en place « très prochainement, d’une surveillance approfondie des rejets de perfluorés » autour de la plateforme chimique. Des « analyses seront menées par l’Etat », confirme-t-on au cabinet du préfet. Cabinet qui ne se dit pas actuellement « en mesure de délivrer des données complémentaires », selon un porte-parole.
Des données existent forcément sur ce sujet, car les deux sites chimiques sont contrôlés, selon des réglementations industrielles parmi les plus drastiques existantes pour les usines chimiques. Le site d’Arkema a été contrôlé 11 fois en 2020 et 12 fois en 2021, précise la préfecture, que ce soit pour le contrôle des risques d’accident industriel – l’usine est classée Seveso seuil haut – et des risques de pollution. Un contrôle « inopiné des points de rejets d’Arkema » a été effectué le 28 avril, après un contrôle initial le 23 mars. La préfecture précise qu’un contrôle des eaux du Rhône et du canal usinier a été mené le 5 mai. Un autre, sur les rejets de l’usine de Daikin, est programmé « très prochainement », après deux inspections du site en 2020.
Deux substances non réglementés...
La préfecture s'attarde toutefois un point particulier : « Les rejets des trois perfluorés utilisés par les deux sites concernés ne sont pas réglementés ». C’est tout sauf un détail. Parmi les PFAS relevées autour de la plateforme dans le rapport, seuls deux sont encore utilisés sur la plateforme chimique. L’usine d’Arkema, de 400 salariés, produit des gaz fluorés et du polyfluorure de vinylidène (PVDF) mais « ne produit pas, ni n’utilise de perfluoré », assure un porte-parole du groupe. N'est utilisé que le 6:2 FTS, « un additif fluoré à chaîne carbonée courte » qui, à l’inverse des PFAS à chaîne longue, n’est pas « considéré comme très persistant ni bio-accumulable », souligne un porte-parole d’Arkema. Cette utilisation serait très restreinte. A Pierre-Bénite, Arkema évoque un volume représentant seulement 0,5% des additifs fluorés utilisés dans l’ensemble de l’Europe.
Actuellement, le 6:2 FTS n’est pas encadré par des normes particulières. Une réglementation pourrait être mise en oeuvre d’ici à 2026, indique-t-on chez Arkema. Le groupe prévoit toutefois d’arrêter l’emploi de cet additif dès la fin 2024, avec un programme de R&D déjà enclenché pour trouver une solution de substitution.
Les représentants de Daikin n’ont pas répondu aux questions de L’Usine Nouvelle. L’usine de polymères fluorés de ce chimiste japonais à Pierre-Bénite utiliserait encore le PFHxA, selon Générations Futures. Ce composé n’est pas soumis à une réglementation particulière, même si l’Allemagne a soumis depuis fin 2018 une proposition de restriction du PFHxA auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Aucune décision n’a encore été prise à ce stade.
... et deux PFAS plus utilisées à Pierre-Bénite
La troisième substance PFAS que semble évoquer la préfecture est le PFOA. Dans le cadre du règlement Reach, qui régit les substances chimiques dans l’UE, cette molécule fait partie des substances préoccupantes. Elle figure sur la liste des substances dont les utilisations pourraient être très restreintes, voire interdites, et soumises à autorisation spécifique. Elle est suspectée d’être cancérogène, et est considérée toxique pour la reproduction, persistante et bio-accumulative. Mais le PFOA n’est plus utilisé à Pierre-Bénite. Arkema dit l’avoir éliminée dans les procédés de son usine depuis 1987. Selon Génération Futures, Daikin a également cessé son utilisation mais plus récemment, en 2008.
Une quatrième substance PFAS est évoquée dans le rapport de Générations Futures : le PFNA. Selon l’Echa, cette substance est aussi considérée comme extrêmement préoccupante et inscrite sur la liste des substances qui pourraient être très restreintes, voire interdites. Arkema ne l’utilise plus à Pierre-Bénite depuis 2016.
Certaines substances non liées à Arkema ni Daikin
Dans les analyses d’échantillons du rapport, les substances encore ou jadis utilisées par les deux usines d’Arkema et Daikin n’apparaissent pas partout. Dans les échantillons d’eau du canal usinier, le rapport parle de « quantité importante » pour le 6:2 FTS, utilisé par Arkema, et le PFHxA utilisé par Daikin, ainsi que pour PFNA et le PFOA, qui ne sont plus utilisés. Pour l’eau du robinet, aucune précision n'est apportée. En ce qui concerne les échantillons dans le sol, le rapport évoque cinq substances PFAS, mais n’en nomme précisément qu’un seul, le PFUnDA, qui n’est pas lié aux deux usines en activité. Pour les échantillons d’air, les analyses pointent en revanche de « grande quantité» de 6:2 FTS, utilisé par Arkema, et de PFHxA de Daikin.
Etant donné le caractère très persistant des substances PFAS dans l’environnement, les résultats des analyses pourraient aussi être liés à l’histoire de la plateforme chimique, sans incriminer directement les deux usines en activité. L’Agence européenne des produits chimiques (Echa) indique sur son site internet que les substances PFAS persistent « dans l’environnement plus longtemps que n’importe quelle autre substance produite par l’Homme ». Or, la plateforme chimique ne date pas d’hier, puisque ses origines remontent à 1902, soit 120 ans d’activité. Les PFAS pointées du doigt aujourd'hui n’ont pas été mises au point avant les années 1940, et ne sont utilisées commercialement que depuis les années 1950. 70 ans plus tard, les normes réglementaires n’ont plus rien à voir.
Les résultats du rapport vont devoir être confrontés à des analyses précédentes, que la préfecture d'Auvergne-Rhône-Alpes a peut-être en sa possession dans ses archives, et à celles qu’elle obtiendra avec les analyses récentes et celles qui seront renforcées. A ce stade, il est impossible de tirer des conclusions, même si une vigilance doit évidemment s’imposer sans attendre.
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